Suite de chansons et danses de Bulgarie et de Turquie

/

Le contexte

Niveau de présentation : Avancé

Bulgarie > zurna

Suite de chansons et danses de Bulgarie et de Turquie


Musique de fête de Bulgarie
Suite : Taksims, Çalın Davulları, Bir Ayrılık Bir Yoksulluk Bir Ölüm, Indiski Kiuchek, Gaydarsko Horo
Davul-zurna, musique des Balkans - Bulgarie, Macédoine, Turquie
Modes multiples (Eviç - Kürdi - Saba - Nikriz - Pentatonique à l’indienne – Hidjaz - Mixolydien)

Interprétation d'une suite de pièces à la zurna par Samir Kurtov.
Enregistré le 10 août 2020 à Kavrakirovo, Bulgarie © Drom

Le contexte

Contextes historiques et sociaux de la pratique musicale en Bulgarie

Page 6/8


Brève contextualisation historique

Les Balkans, la Macédoine et la Macédoine bulgare, les Roms et les Tsiganes

Samir Kurtov habite au village de Kavrakirovo. C’est en Bulgarie, tout près de la Grèce et de la Macédoine du Nord. Cette région frontalière s’appelle le Pirin ou la Macédoine du Pirin, en référence au massif montagneux du même nom, ou bien encore la Macédoine bulgare. Mais si nous sommes en Bulgarie, pourquoi parle-t-on de Macédoine ? Ne constituent-ils pas deux territoires différents ?

Pour bien appréhender cette partie du sud-est de l’Europe et le découpage politique morcelé des pays qui la composent aujourd’hui, il faut avant tout connaître l’histoire de l’Empire Ottoman et surtout la période de son démembrement se déroulant du XIXème jusqu'au début du XXème siècle, appelée généralement par les historiens la “Question d’Orient”.

A partir du XIVème siècle, les armées de l’Empire Ottoman, province turque fraîchement constituée et située alors à l’ouest de l’Anatolie (actuelle Turquie), traversent le Bosphore et s’emparent progressivement du sud-est de l’Europe et précipitent d’une part la chute de l’empire Serbe et d’autre part celle de l’Empire Romain d’Orient (de culture grecque orthodoxe et appelé aujourd’hui empire Byzantin) qui se soldera par la chute de Constantinople en 1453.

Contrairement à l’Anatolie et malgré l’implantation de populations turcophones musulmanes et la conversion à l’Islam d’une partie des natifs de cette région, elle restera majoritairement chrétienne orthodoxe. Ainsi, pour parler de la partie européenne de l’empire Ottoman, ses habitants utilisent le terme de “Roumélie” soit le “Pays des Romains” en référence à l’empire romain chrétien d’Orient disparu.

L’organisation administrative et juridique de l’Empire ottoman par les communautés religieuses est la caractéristique principale de son fonctionnement politique. Les citoyens ottomans se reconnaissent et s’identifient avant tout par leur religion : Musulmans, Juifs ou Chrétiens. C’est à partir du XIXème siècle que se développent les mouvements nationalistes influencés par les idées des “Lumières” et c’est ainsi que l’on voit "renaître" des peuples s’identifiant par une langue commune comme les Grecs, les Bulgares, les Roumains... Profitant de l'affaiblissement de l’Empire Ottoman et du soutien militaire et diplomatique des grandes puissances européennes (Russie, France et Grande-Bretagne), de petits états-nations acquièrent leur indépendance : la Grèce (1821), la Roumanie (1959), la Serbie, le Monténégro et la Bulgarie (1878) et l’Albanie (1912).

Cependant, jusqu’en 1912 une partie importante de la Roumélie appartient encore à l’Empire ottoman. C’est le cas de la région qu’on appelle aujourd’hui la Macédoine. Au XIXème siècle, ce terme n’est alors utilisé que par les géographes et autres érudits européens, en référence au Royaume antique de Macédoine d’Alexandre le Grand (356 - 323 av J.C.) mais n’a pas encore de sens politique. Dans l’empire ottoman, on parle des vilayet (provinces) de Thessalonique, de Bitola et de Skopje, les grandes villes de la région. 

Les Balkans de 1878 jusqu'à la première guerre balkanique : Balkans 1878-1912

Les Balkans de 1878 jusqu'à la première guerre balkanique : Balkans 1878-1912

Auteur de la carte : Spiridon Ion Cepleanu, d'apèrs William Miller, The Ottoman Empire, 1801-1913, Cambridge Univiversity Press, 1913. © Spiridon Ion Cepleanu, CreativeCommons
 

Les jeunes nations limitrophes (la Grèce, la Serbie et la Bulgarie) soutiennent une politique irrédentiste et revendiquent toutes leurs droits sur ce territoire en proie à la  guerre civile et cherchent donc à envenimer la situation afin de s’en accaparer. Ceci pousse notamment une partie de la population locale à se définir par une nouvelle identité ni religieuse ou linguistique mais géographique : plutôt que d’être bulgare, grec ou serbe, on peut être dorénavant macédonien ce qui permet entre autres d’éviter d’avoir à choisir un camp. 

Finalement, malgré leurs antagonismes, la Grèce, la Bulgarie et la Serbie s’allient lors de la “première guerre balkanique” (1912-13) pour faire reculer l’Empire Ottoman jusqu’aux portes de l’Europe. C’est à partir de cet évènement que l’emploi du mot “Balkans”, qui à l’origine désigne la chaîne de montagne située au centre de la Bulgarie (Stara Planina en bulgare) et par extension un massif montagneux, devient réellement populaire dans les journaux européens et supplante le terme de “Roumélie” et de “Turquie d’Europe”. De nombreux conflits suivent, dont la seconde guerre balkanique et deux guerres mondiales, et aboutissent à des traités redéfinissant le partage de la Macédoine ottomane. Aujourd’hui, ce territoire est réparti principalement sur trois pays :

  • La Grèce (Macédoine égéenne ou Macédoine grecque soit 52% du territoire macédonien)
  • La République de Macédoine du Nord (Macédoine du Vardar) issue du démembrement de l'ex-Yougoslavie (35,8% du territoire)
  • La Bulgarie (Macédoine du Pirin ou Macédoine bulgare soit 10,1% du territoire).
Carte de la Macédoine. © Laurent Clouet

Carte de la Macédoine. © Laurent Clouet

La Macédoine est connue depuis le XIXème siècle pour son multi-ethnisme. À cette époque, de nombreuses langues y étaient parlées : le grec, l’albanais, l’aroumain ou valach (proche du roumain) le slavo-macédonien (proche du bulgare), le serbo-croate, le turc, le romani ou romanes (langue des tsiganes) et le ladino ou judaismo (langue des juifs séfarades).
Par ailleurs, les trois grandes religions monothéistes (christianisme, islam et judaïsme) étaient présentes sous différentes formes. Les ethnologues européens, en cherchant à définir une identité précise pour chaque peuple de Macédoine ou de l’empire ottoman, assemblaient une religion à une langue : bulgare musulman, albanais chrétien, juif grecophone…

Malheureusement, dans la plupart des territoires ottomans, les conflits d’indépendances ont mené à de nombreux massacres et déplacements de populations engendrant des purifications ethniques soutenues par une idéologie défendant la construction de nations homogènes tant au niveau religieux que linguistique. Même si aujourd’hui on peut encore observer une certaine mixité religieuse et linguistique en particulier en Macédoine du Nord et en Macédoine Bulgare, la région de Macédoine dans son ensemble n’a pas échappé à cette histoire violente et n’est plus aussi cosmopolite qu’auparavant.

Carte ethnographique de la Macédoine (1899), source Wikipedia, Deutsche Rundschau für Geographie und Statistik Bd. XXI, Heft 10. Auteur : Friedrich Meinhard

Carte ethnographique de la Macédoine (1899), source Wikipedia, Deutsche Rundschau für Geographie und Statistik Bd. XXI, Heft 10. Auteur : Friedrich Meinhard

Samir Kurtov est un représentant emblématique de cet héritage ottoman. Sa langue maternelle est le romani, il parle aussi le dialecte macédonien de sa région et le bulgare, la langue officielle de son pays. Il connaît aussi un peu le turc car ses ancêtres étaient turcophones et musulmans et se sont convertis au christianisme probablement pour ne pas être expulsés vers la Turquie pendant les guerres balkaniques. D’ailleurs, une partie de ces ancêtres viennent de Macédoine grecque d’où ils ont été expulsés.

Bien que la Macédoine ne corresponde pas à un seul pays ou à une zone culturelle à part entière, on peut cependant reconnaître à travers la musique certaines formes mélodiques partagées et un style commun caractéristique de cette zone ce qui permet de soulever l'hypothèse qu’il existe bien une unité culturelle relativement ancienne.

Roms et Tsiganes 

Définir l’identité du peuple Rom comporte un certain nombre de difficultés. Si l’on envisage que les Roms sont un seul peuple homogène, ils ne possèdent pas d'État ou de structure politique représentative qui leur permettrait de se constituer en nation. D’autre part, même si certains les considèrent comme la première minorité d’Europe, ils restent toutefois largement minoritaires dans la plupart des pays concernés (moins de 1% de la population), sauf dans les Balkans où ils représentent officiellement 2 à 5 % de la population et 6 à 12% selon une estimation haute. Cette différence statistique allant du simple au double montre à quel point il est problématique de définir et délimiter les contours identitaires de cette minorité.

Avant toute chose, le terme “Rom” peut porter à confusion car on l’associe souvent au peuple roumain et à son pays la Roumanie mais, bien que les Roms soient nombreux sur ce territoire, nous avons affaire à deux étymologies distinctes :

  • “Roumain”, fait référence à l’origine à l’empire Romain, ce qui est d’ailleurs aussi le cas de “Roum”, mot qui désigne un habitant de la Roumélie.
  • “Rom” vient du romani, la langue des Roms, et désigne un homme de la communauté marié (un adulte). Pour une femme on dira “Romni”.

Dans les Balkans, le terme “Rom” est utilisé au départ plutôt à l’intérieur de la communauté. “Tsiganin” en Bulgare, “çingene” en turc, “cigan” en albanais, “athigganos” ou “giftos” en grec (les premiers donnent “tsigane” en français et le dernier “gypsy” en anglais) sont les mots qu'utilisent jusqu’à aujourd’hui les personnes extérieures aux Roms pour les nommer.
En Europe cependant, avec leur reconnaissance politique en tant que minorité ces 50 dernières années, c’est bien le terme “Rom” qui devient la dénomination officielle et les autres appellations sont perçues petit à petit comme péjoratives. Ainsi, un Rom peut parfois qualifier un autre Rom de “tsigane” s’il veut le dévaloriser.

Savoir qui est Rom ou ne l’est pas est une des questions qui suscite le plus de débats aussi bien chez les universitaires que chez les Roms eux-mêmes. Actuellement, même si plusieurs théories se confrontent, tout le monde est d’accord pour dire que ce peuple a quitté l’Inde du Nord à partir du Xème siècle pour se diriger progressivement vers le bassin méditerranéen. Pour ce qui est des Balkans, les premiers témoignages de leur apparition datent du XIVème siècle. C’est grâce à leur langue, le romani, qui est de la famille du sanscrit, que l’on a pu découvrir leurs origines indiennes. Bien que tous les Roms ne parlent pas le romani, la façon la plus objective de reconnaître un Rom est de savoir s'il parle le romani ou si la langue qui parle contient du vocabulaire emprunté au romani. C’est par exemple le cas des Roms Turcs du sud des Balkans qui parlent turc avec quelques mots romani.

Dans cette même région, le patchwork de langues et de religions hérité de l’époque ottomane fait qu’il est difficile de faire rentrer l’ensemble de peuples y habitant dans un cadre identitaire circonscrit. Les Roms compliquent encore plus la chose car chaque famille possède, en plus de sa propre culture rom, celle du pays où elle habite et même parfois de la minorité à laquelle elle est apparentée. Les Roms en Bulgarie parlent tous le bulgare, qui est la langue nationale, une partie parle le romani, une autre le turc, certains uniquement le bulgare, d’autres les trois langues. D’autres encore parlent le valach (proche du roumain) car ils côtoient des locuteurs de cette langue. Ils peuvent être chrétiens ou musulmans, sachant que les turcophones sont plutôt musulmans, mais certains Roms pratiquent les deux religions à la fois. On dit qu’ils se font baptiser par le pope et enterrer par l’Imam.

La raison principale pour laquelle les chiffres de la population rom varient dans les pays des Balkans est qu’ils ne se reconnaissent pas obligatoirement en tant que tels lors des recensements. Ainsi, en Bulgarie, les Roms Turcs se définissent généralement en tant que turc plutôt qu’en tant que Rom. D’autres Roms peuvent se définir comme Bulgares sans préciser qu’ils ont des origines roms. Ainsi, jusqu’à peu les Roms n’étaient pas pris en compte dans les recensements ou les cartographies ethniques car ils étaient toujours associés à d’autres groupes ethniques.

 

Référence :
MAZOWER Mark, The Balkans. From the End of Byzantium to the Present Day, ed. Weindenfeld & Nicolson, 2000.

Contexte de jeu

Les contextes de jeu dans les Balkans

Quand on parle de musique populaire, traditionnelle ou folklorique dans les Balkans, chaque nation fait référence à la musique pastorale comme étant la source la plus pure et le contexte de jeu le plus authentique que l’on puisse trouver : un berger gardant son troupeau et jouant des mélodies ancestrales avec un instrument, une flûte en général,  qu’il a fabriqué de ses propres mains. C’est cette représentation historique qui est rejouée lors des rassemblements folkloriques costumés.

Pourtant, même si le monde rural a fortement évolué au cours du XXème siècle, que le pastoralisme se fait de plus en plus rare dans les Balkans et que la société villageoise traditionnelle n’existe presque plus, les événements familiaux et communautaires comme les mariages, les baptêmes, les circoncisions, les enterrements, les carnavals et les fêtes votives n’ont pas cessé. Ces célébrations sont autant d’occasions d’embaucher des musiciens professionnels qui sont fréquemment originaires de la communauté rom. En effet, certaines familles roms se consacrent uniquement à la musique et ce depuis de nombreuses générations.

Jouer dans ces fêtes populaires demande un savoir-faire particulier. Les mariages, par exemple, durent toute une journée et la musique ne s’arrête pratiquement pas. Les musiciens doivent donc être endurants et pouvoir enchainer thèmes et improvisations sur une longue durée. C'est en général le même groupe qui est embauché pour toute la durée des festivités de mariage. Mais aujourd'hui on embauche souvent le davul-zurna pour la première partie dans la rue, puis l'orchestre pour le restaurant puis pour la fête sur la place du village ou du quartier.

Un autre fait très important est que la musique se fait à la commande moyennant bakchich, c’est-à-dire par rétribution financière sous forme de billets. Le public tient un rôle primordial car il est à la fois auditeur, acteur puisqu'il choisit les danses et les chansons, et client puisqu'il paie souvent en direct les musiciens. Pour réussir à vivre de leur art, ceux-ci doivent savoir répondre à un maximum de demandes et donc connaître un très grand répertoire variable en fonction des villages, des communautés et des générations. Ainsi, le découpage par époques, les classements par terroirs, les différenciations entre musique traditionnelle, pop, musique nationale, musique étrangère, n’ont pas lieu d’être à partir du moment où le répertoire est imposé par l’auditoire.

Pour ces raisons, on entend rarement parler d’accomplissement individuel en tant qu’artiste dans ces milieux, les musiciens mettent plus en avant leur virtuosité, leur connaissance des répertoires ou leur capacité à faire évoluer leur style vers le plus haut niveau.
 

Question d'apprentissage et de transmission

Apprentissage et transmission musicale en Bulgarie

L’enseignement des musiques populaires et dans notre cas de la musique en Bulgarie se fait par transmission orale, par imitation et par imprégnation.

Ceci étant dit, chez les familles de musiciens roms, l’apprentissage de la musique est souvent un moment bien plus conflictuel que ce que l’on s’imagine.

En effet, parfois l’enfant ne choisit pas son instrument. Il peut lui être attribué par son père en fonction des besoins - si le père est clarinettiste, il aura besoin d’un kanun (cithare sur table), d’un accordéon ou d’un clavier pour l’accompagner. Il peut même aller jusqu’à interdire à son fils de jouer d’un instrument (la clarinette par exemple) ce qui provoque souvent l’effet inverse c’est-à-dire un désir décuplé pour cet instrument. On raconte à propos du célèbre clarinettiste rom bulgare Ivo Papazov que son père l’avait destiné à jouer de l’accordéon. Il y avait bien une clarinette dans la maison, celle de son père, mais il n’avait pas le droit d’y toucher. Il se mit malgré tout à en jouer quand son père s’absentait. Un jour son père de retour du travail entendit chez lui quelqu’un jouer magnifiquement de la clarinette. En entrant, il fut surpris de voir son fils avec l’instrument dans les mains, il lui dit alors d’abandonner l’accordéon.

D’autre part, dans le cadre familial, le jeune musicien n’a pas forcément de cours à proprement parler, il doit glaner les informations pour construire lui-même son savoir-faire. Quand il y a des cours, les conflits père-fils fréquents quand il s’agit d’apprendre, font que ces derniers sont envoyés chez un autre musicien pour étudier.

La notion de “disciple” n’existe pas vraiment et le respect pour les anciennes générations ne va pas de soi. La plupart des apprentis musiciens ont la volonté de s’émanciper de leurs parents en jouant un répertoire plus moderne ou récent en délaissant celui démodé de leurs aïeux.

L’accès au répertoire qu’il soit ancien ou récent se fait bien sûr au contact des membres de la famille et aussi à travers les vidéos sur le web mais c’est avant tout lors des nombreux mariages auxquels ils assistent que les jeunes musiciens forment leurs oreilles.

Enfin, pour être considéré comme un musicien professionnel de mariage en Bulgarie, il faut avant tout savoir répondre aux demandes des clients et c’est en sachant cela que l’on apprend la musique, le style et le répertoire. Ainsi, le jeune musicien se doit d’acquérir rapidement la technique nécessaire pour pouvoir suivre sa famille ou ses collègues dans les mariages et progresser sur le tas.

20 mars 2021

Laurent Clouet

Musicien