Skolvan

/

Représentations et analyses

Niveau de présentation : Avancé

France > Bretagne > Musique traditionnelle de Basse Bretagne

Skolvan


Musique de France
Gwerz Skolvan
Bretagne, Gwerz
Gwerz

 

Deux versions d'un chant - la gwerz de Skolvan -, chantés en langue bretonne (cornouaillais) sur la même ligne mélodique par Madame Bertrand, sont ici présentées et étudiées. Les enregistrements ont été effectués par Claudine Mazéas, le premier (oeuvre 1) en 1959 à Canihuel chez Madame Bertrand, le second (oeuvre 2) à Saint-Nicolas-du-Pélem à La Piscine, le bar-piscine tenu par son fils Guillaume, à une date inconnue.
En "miroir" est présentée une analyse plus succincte de deux interprétations de la gwerz de Sulian, l'une par Madame Delaure et collectée par Yann-Fañch Kemener, l'autre par moi-même et l'ensemble polyphonique de Mallakastër.
D'autres enregistrements de ces deux gwerz, collectés auprès d’autres interprètes du XXème siècle ou bien interprétés par des artistes contemporains, complètent cette étude.

Oeuvre 1: Gwerz de Skolvan, interprétée par Madame Bertrand. Enregistré chez elle à Canihuel le 18 janvier 1959 par Claudine Mazéas. Avec l'aimable autorisation de Dastum.

Représentations et analyses

L'interprétation de Madame Bertrand

Page 3/9


En ce qui concerne la transcription et la notation, j’utilise mon propre système de notation des degrés, tout en donnant le nom latin des notes. En effet, le langage et la représentation sur partition du solfège de la musique classique européenne ne me semble pas vraiment pertinent, comme je souhaite l'expliquer :

 

Erik Marchand, à propos de la transcription et de la représentation des notes. ©Drom, août 2020

Notes pour la lecture de l’analyse des lignes mélodiques : 

  • les degrés notés entre parenthèses sont ceux qui ne sont pas toujours exprimés
  • l’indication ½b (demi bémol) indique un degré (ici, mi ou si) entre le bémol et le bécarre
  • les flèches indiquent qu’une note est plus haute ou plus basse que le degré écrit.
     

L’œuvre 1 (ci-dessus) est chantée en Do presque dièse (référence la 440).

La seconde version (oeuvre 2, ci-dessous) est chantée en La.
 

 

La forme mélodique principalement utilisée par Madame Bertrand est a-b-a’ sauf pour le premier couplet où la forme est toujours a-b-a-b-a’, et ce dans les deux versions. A plusieurs reprises, on trouve également la forme a-b-a-b-a-b-a’, dans les deux versions également.

                 a mi½b fa sol fa mi½b (mi½b) fa fa mi½b͜ ré do

                 b (do) ré mi½b fa fa mi½b ré do sib↑

                 a (sib↑) mi½b fa sol fa mi½b fa fa mi½b͜ ré do

Soit dans la notation des degrés :

                 a 3° 4 5 4(3°) 4 4 3͜°2 1 

                 b (1) 2 3° 4 4 3° 2 1 7-↑

                 a’ (7-↑) 3° 4 5 4 3° 4 4 3͜°2 1
 

Intonation et structure de l’échelle


La gwerz de Madame Bertrand est construite sur six degrés : 

                               7-↑ 1 2 3° 4↑ 5 

Cette échelle est très courante dans la musique de Basse Bretagne qu’elle soit à danser ou à écouter.

De manière générale, dans le cas d’interprétations d’un chant assez long, je préfère ne pas baser l’analyse des degrés sur les deux ou trois premières strophes de la mélodie. Très souvent, le chanteur, si bon soit-il, cherche sa justesse et la ligne mélodique la plus cohérente (devrais-je dire la plus plaisante à ses oreilles) ou la plus conforme à son idée du moment, ainsi qu’à la manière dont il souhaite faire fonctionner sa mémoire.

En tant que chanteur et après en avoir parlé avec nombre de mes pairs de toutes générations, je peux dire que souvent nous nous appuyons davantage sur la mémoire d’un moment, et surtout du timbre et du style d’un interprète qui nous fut marquant que sur la recherche immédiate d’une « justesse » d’intonation

Je rappelle que notre mémoire musicale n’est que très peu ou très occasionnellement liée à l’écrit et que nous n’avons pas toujours de partenaire instrumentiste, loin s’en faut.
 

La gwerz de Skolvan et la microtonalité


Les résultats de l’étude que nous avons menée avec Titi Robin en 1991 portait sur la Gwerz de Skolvan chantée par Madame Bertrand tirée du disque Les sources du Barzaz Breizh aujourd’hui,  édité par ArMen, Dastum et le Chasse‑Marée (1989, collection « Tradition vivante de Bretagne »). C’est cette version que nous appelons ici œuvre n°1.

Cette gwerz nous a servi à expérimenter plusieurs méthodes et à mettre en évidence les différents problèmes auxquels nous risquions d'être confrontés. Voici donc les quelques réflexions que nous avions tirées de la lecture des tableaux de valeurs et des graphiques qui en sont issus.

Durant les deux premiers couplets, la chanteuse cherche la ligne mélodique et l'échelle qui en découle ; nous n'avons donc utilisé que les mesures de degrés à partir de la dernière note du deuxième couplet (tonique).

  • Pour chaque degré on constate qu'il existe un assez grand nombre de valeurs différentes souvent réparties dans un intervalle supérieur à un demi ton (100 cents). Cependant on peut mettre en évidence des « zones intervalliques » de plus ou moins 10 cents autour d'une valeur. Il s'agit d'une zone de tolérance qui, plus qu'un calcul d'erreur mathématique, est surtout la tolérance de l'oreille elle-même : un intervalle de 10 cents n'est audible que pour un observateur exercé.
                                Par exemple, pour la tierce : 330 → 340 ← 350
     
  • La tonique est le dernier degré de la mélodie et il semble que sa place est bien conclusive. Celle que nous avons choisie à la fin du deuxième couplet est relativement stable durant toute la durée du chant, c’est-à-dire qu’elle conserve une hauteur qui ne monte pas en cours d’interprétation – comme c'est le cas chez nombre d'autres chanteurs, si grands artistes soient-ils.
    Elle peut sembler parfois seulement esquissée. Elle ne débute que rarement une partie mélodique, et seulement la phrase b dans le cas de vers de 9 pieds et probablement dans une mémoire de la note finale de la phrase a.
     
  • La première note stable dans le déroulement mélodique est la quinte (5). Elle est souvent longue et bien marquée. La régularité des intervalles est bien plus claire lorsque l’on considère la quinte comme note de référence que lorsque l’on s’appuie sur la tonique.
    Du troisième au septième couplet, l'interprète la fixe à la hauteur de 700 cents au-dessus de la tonique théo­rique (Do quand La = 467 Hz). On peut penser que c'est sur ce degré que s'appuie la chanteuse pour la phrase A, la tonique (1) n'apparaissant qu'en fin de phrase avec un intervalle descendant rassemblé dans la zone 710 ± 10 cents à 77,7 %.
     
  • Le premier degré de la mélodie est une tierce extrêmement instable, ce qui est dû à sa position ou à des phénomènes d'attaque (port de voix principalement). La deuxième tierce qui est descendante, elle, est beaucoup plus stable ; sa zone intervallique privilégiée est 350 ± 10 cents au-dessus de la tonique, soit 58,5 % ou 14/24.
    Prenons maintenant en compte la totalité des tierces de l'interprétation étudiée (à partir du 3ème couplet). En utilisant le principe des zones intervalliques, on peut regrouper les valeurs de la tierce autour de 340, soit de 330 à 350 cents (par rapport à la tonique théorique) ; cette zone rassemble 39 des 73 tierces mesurées soit 53,4 %.
    Si l'on regroupe de la même manière les valeurs autour de 300 cents (ce qui correspond à la tierce mineure du tempérament égal) on n'obtient que 9/73 soit 12,3 %. La valeur de 350 cents qui représente une tierce située précisément entre la tierce majeure et la tierce mineure (« quart de ton » = 50 cents) représente à elle seule 18/73 soit 24,6 %.
    Il apparaît donc que la tierce choisie pour cette interprétation évolue autour de la tierce neutre (ou médiane).
     
  • Les quartes de passage sont plus stables que les quartes tenues.
    Pour la première quarte qui est dans un mouvement mélodique ascendant, l'intervalle 1 ‑ 4 privilégie la zone 500 ± 10 cents qui représente 44,5 % (la quarte dite « juste » dans le tempérament égal est situé à 500 cents au-dessus de la tonique).
    La zone intervallique la plus riche pour l'intervalle 5 → 4 se situe entre 200 et 220 cents (soit un ton fort) pour la première quarte en A, et entre 190 et 210 pour la deuxième (200 = 1 ton tempéré égal).
                                5 → 4 premières 200 à 220 ‑ 9/20 soit 45%
                                3 → 4 deuxièmes 190 à 210 ‑ 10/20 soit 47,6 %.
     
  • La septième n'apparaît que dans la phrase B ; sa zone privilégiée se situe entre ‑180 et ‑160 cents au-dessous de la tonique à raison de 10/15 soit 2/3 ou encore 66,6 % ; elle n'est donc ni majeure, ni mineure mais plus basse que l'intervalle de 1/4 de ton (150 cents).
     
  • La seconde est une note de passage voire un ornement ou un bref palier dans un glissando descendant. Très souvent, elle n'a pu être mesurée ; elle se situe principalement entre 200 et 220 cents, ce qui représente un ton fort au-dessus de la tonique.

 

Le travail poétique au moment de l’interprétation


L’interprète d’une gwerz, d’un chant plus léger ou d’un thème à danser (en situation de danse ou bien de récitation de la chanson) ajoute ou gère des pieds surnuméraires à la forme la plus courante du thème choisi.

Dans le répertoire du Centre-Bretagne (le « pays du kan ha diskan » selon J.M. Guilcher, 1963), les poésies chantées sont construites majoritairement sur des vers de 13 pieds et de 8 pieds.

Pour les vers de 13 pieds (1234567/123456) il est possible d’aller de 11 pieds minimum (12345/123456) à 15 pieds (12345678/1234567), exceptionnellement à 16 pieds.

Pour les vers de 8 pieds, il est possible d’aller de 7 à 11 pieds.
 

Les chanteurs que j’ai toujours préférés, et qui sont souvent reconnus comme les meilleurs par la communauté, recherchent ces moments où l’imprécision et le déséquilibre leur permettent de montrer leur art de mélodiste.
Très souvent, les syllabes surnuméraires sont sans signification ou presque (na, a, ya). Elles peuvent aussi être liées à l’utilisation de particules verbales ou de voyelles généralement non prononcées dans la langue parlée ni dans la langue chantée.

Lorsque l’interprète se trouve face à ces situations, il se doit de reconstruire une phrase mélodique cohérente et “respectueuse” du chemin mélodique du thème chanté. J’entends par “respectueuse” le fait qu’elles suivent le chemin de la phrase « type » et que le choix du placement des syllabes accentuées s’appuie sur des degrés pertinents. Attention, dans de nombreux cas, les syllabes fortes ne collent pas forcément aux degrés forts de l’échelle. L’effet qui en découle présente à mon sens une richesse musicale supplémentaire.

Je propose de mettre en relief ce travail mélodique et poétique mené au moment de l’interprétation, en écoutant les variations dans les deux versions de la gwerz de Skolvan interprétées par Madame Bertrand.

 

Erik Marchand. Au sujet de l'interprétation poétique de Madame Bertrand ©Drom

Je nomme ici les degrés, par exemple, du 5ème degré inférieur au 5ème degré supérieur, 5 - 6 - 7 - 1 - 2 - 3 - 4 - 5, en suivant mon système de notation.

Les vers sont généralement des octosyllabiques (huit pieds).

L’orthographe du breton unifié ne peut rendre que difficilement la richesse de la langue chantée. Nous utilisons ici la version donnée dans le livret du disque Grands Interprètes de Bretagne 4. Marie-Josèphe Bertrand. Chanteuse du Centre-Bretagne (Dastum, 2008), selon la graphie proposée par Ifig Troadeg et la traduction de Ifig et Nanda Troadeg, Marthe Vassallo, Yann-Fanch Kemener et Ronan Guéblèz.


 

Ici, le chant est majoritairement syllabique.

Quelques mélismes apparaissent :

  • De 5 vers 4 : régulièrement dans la phrase a, par exemple au couplet 18a de la version 1 du chant : 

  •  De 5 vers 4, encore, très souvent dans la phrase a'. Ainsi au couplet 12 a' de la version 1 du chant :

Les mélismes de 3 vers 2 sont très fréquents dans la phrase a, par exemple au couplet 8a de la version 1, et systématiquement dans la phrase a', par exemple au couplet 11a' de la version 1 :

Les mélismes de 1 vers 7 apparaissent une seule fois dans la phrase b, au couplet 4 de la version 1 :

La phrase b est toujours syllabique. 

Cas des strophes atypiques ababa' et plus:

Le chant débute par un regroupement de deux vers. Ceux-ci ne sont pas assonancés de la même manière: les deux premiers en on/om les deux suivants en ann/an.
Il n’y a pas à mon avis d’explication particulière à ce phénomène sinon l’habitude de l'interprète.

Dans la suite de l’interprétation, on retrouve des formes tronquées, comme des points de suspension ou une forme resserrée : ab… a(ou a’)b… aba’.
On peut entendre ce « resserrement » dans la gwerz Ywan Gamus interprétée par Madame Bertrand, où dans la version à 3 phrases, on trouve à côté de la forme général abc des formes ab... ab… abc :

Gwerz Ywan Gamus, interprétée par Madame Bertrand. Version longue.

Cette manière de faire est-elle liée à la dramaturgie ? A une volonté musicale visant à rompre la régularité comme c’est le cas pour la prosodie ? A une volonté de l’interprète d’écourter l’œuvre ? Sans doute à tout cela et davantage.

Dans les deux versions, les strophes 23, 24, 25 sont regroupées. Elles sont toutes assonancées en « et ».

23.
Tevet, ma mamm na ouelet ket

Ho lever bihan n'eo ket kollet
24.
Ho lever bihan n'eo ket kollet

Ma er mor don tregont gourhed 
25.
Ma er mor don tregont gourhed 

En beg ur pesk vihan o viret
En beg ur pesk vihan o viret.

Dans la version 2, les strophes 26, 27, 28 sont regroupées, les deux premières sont assonancées en « et » mais 28 en « ad »:

26.
Tevet, ma mamm, na ouelet ket,
 Ma war an daol ront ha iañ rantet
27.
Ma war an daol ront ha iañ rantet 

Faota 'barzh 'met teir feilhenn glebet.
28.
Unan gant dour, unan gant gwad, 

Unan gant daeroù ho tiwlagad 
Unan gant daeroù ho tiwlagad.          
  1  3      4   
454͜ 3    4   4 32͜ 1

Quelques variations mélodiques sont à noter :
Parfois l’interprète ajoute ou ôte une syllabe à la carrure qui aurait pu être régulière et certains vers auront alors 9 ou 7 pieds au lieu de 8.


Vers de 9 pieds : une note est ajoutée au début de la phrase :
  - Phrase a : 3 3 4 5 3 
  Version 2, phrase 12a :

Et dans la version 1, toujours en vers de 9 pieds, une note est ajoutée au début aux phrases b et a':

  •   Phrase b 1 2 3 4 4 (couplet 9b)

  • Phrase a’ 7 3 4 5 4 3 (couplet 11a' et 19a' par exemple) :

Parfois pour a et a’, le mélisme 5 4 est abandonné et porte deux syllabes, par exemple version 1 au couplet 15 :

En outre dans le chant de ce vers, une diphtongue est rajoutée (sur le mot “baour”) et la césure est déplacée (césure 6-3) :

15.   O ya, toud holl am eus sedet
  Met hani ma mamm n'em eus ket 
  Met hani ma mamm baour n'em eus ket.
  3    4 5    4      3        4        4      3͜2 1

Certains degrés sont en outre emphacisés ou raccourcis, on observe ainsi parfois une liaison assez courte de 4 à 5 puis plus longue de 5 à 4 dans la seconde phrase a ou a’.

Pour b, à part la variation dû au pied ajouté en début de vers, on peut noter la présence dans les deux versions de l’ajout d’un degré 5 : 2 3 4 5 4 3° 2 1 7-↑

Il me semble intéressant de s’arrêter sur ce détail plus important qu’il n’y paraît à première écoute :
Dans la première version, ce 5
ème degré apparaît au couplet 6 :

Pan ae mamm Skolvan da gousket
Terripl holl a vize okupet
 
2 3     4   5  4 3  2 1  7
Terripi holl 'vize okupet

Erik Marchand au sujet de la variation syllabique musicale ©Drom 2020

Dans la version 2, il apparaît au couplet 7 c’est-à-dire presque au même endroit de la narration mais pas sur le même couplet :
Piv 'zo aze, piv 'da (v) aze

Ya ken diwezhal-se war vale,
Met ha ma mab Skolvan a ve?

Dans la version 1, c’est sur une syllabe très faible, une particule verbale souvent élidée ; dans v.2 sur la deuxième syllabe de diwezhal qui peut être forte dans des dialectes voisins et qui participe aux allitérations de ce très beau couplet.
Pour ce faire Madame Bertrand ajoute la syllabe
ya (qui peut avoir le sens de oui mais est souvent ajoutée au même titre que na). 
 

Erik Marchand. Au sujet du travail poétique de Madame Bertrand ©Drom 2020

Y aurait-il ici une mémoire mélodique, un chemin à suivre peut-être inconsciemment ? Ce petit effet amène à réfléchir : comme je le pressens, le texte seul ne modèle pas la mélodie. Cette dernière peut amener de grands interprètes à modifier le texte afin de « placer » une variation de plus et à apporter sa pierre à l’enrichissement de la pensée modale.

Dans le même ordre d’idée dans les deux versions, le vers N’eo ket c’hoazh ‘oa e vrasañ pec’hed est chanté trois fois.
Dans la première version, il est chanté de trois manières différentes (couplets 19, 20, 21)
et dans la deuxième version de deux manières différentes (couplets 19, 20, 21).
Le nombre de pied est constant, seul le rapport entre le vers et la ligne mélodique est modifié.
Version 2, couplets 19, 20, 21 :

 

Les erreurs dans le texte :
On peut remarquer dans la version 2 que la strophe 11 a failli être remplacée par la 16. Ceci semble avoir amené l’interprète à une suite d’oubli des strophes 14, 15, et 16. Signalons que ces hésitations et erreurs de texte n’altèrent pas la qualité de l’émission vocale ou de la pertinence musicale.

Pour moi, ces interprétations livrées par Madame Bertrand illustrent parfaitement le travail musical à l'oeuvre dans l'entendement modal de la musique.

L'entendement modal

Dans le cas des musiques populaires qui ne disposent pas d’une théorie écrite ou orale avérée, l’entendement modal désigne le travail et la pratique de la musique d’une part selon une conception horizontale de la ligne mélodique, sans suivre le tempérament égal ; d’autre part selon une perception ou une intuition qui amène à conduire l’interprétation en créant la surprise et l’inattendu, par différents procédés de modulation, de variation, d’improvisation.

Cela implique le choix et l’agencement de degrés mélodiques dont la hauteur n’est, à l’origine, fixée par aucun canon : dans l’entendement modal, le musicien peut puiser dans la micro-tonalité, utiliser des degrés dont les hauteurs ne renvoient pas au tempérament égal. Dans l’entendement modal (et même parfois dans la polyphonie) le choix de ces degrés se fait dans la succession, l’horizontalité. Telle note est choisie en fonction de celle qui la précède et  de celle qui la suivra ainsi que, le plus souvent, en fonction d’autres notes ayant une valeur particulière dans une hiérarchie des degrés. Dans le cas des musiques à bourdon, cette note continue qui sera souvent (mais pas uniquement) la « tonique » participera à la construction de la ligne mélodique.
En ce sens, l’entendement modal peut être mis en face de l’entendement harmonique issu de la musique tonale. Comme le disait René Abjean : "....Quand le défaut à la gamme tempérée tombe toujours au même endroit de la même façon, il est permis de douter..., et de rêver...". (
La Musique Bretonne, éd. Jos Le Doare, 1974).

L’entendement modal est aussi une manière de créer, ou de gérer, l’inattendu, la création, à l’instant T de l’interprétation, en faisant appel à la variation, la transposition, la modulation ou l’improvisation de la ligne mélodique.
Être chanteur ou musicien comporte une prise de risque : dans ce sens, lorsque l’on joue ou que l’on chante, on souhaite l’accident et on se met dans les conditions pour qu’il se produise, et s’il ne se produit pas, on le crée. Cette création est menée en pratique et dans l’instant selon l’idée musicale du musicien et la façon dont il fait fonctionner sa mémoire musicale. Très souvent, un chanteur ou un musicien cherche sa justesse et la ligne mélodique la plus cohérente ou la plus conforme à son idée du moment, ainsi qu’à la manière dont il souhaite faire fonctionner sa mémoire, en référence au timbre ou au style d’une interprétation qui l’a marqué. Cette recherche de cohérence et de beauté qui fait intervenir la mémoire guide davantage la pratique que la recherche immédiate d’une « justesse » d’intonation.

11 août 2020

Erik Marchand

Chanteur