La pluie tombe sur nous

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Points de vue

Niveau de présentation : Avancé

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La pluie tombe sur nous


Musique de France
La pluie tombe sur nous
Tradition française d'Ardèche

Deux oeuvres sont en miroir : l'oeuvre est interprétée successivement par Jean-Philippe, Denis Sales et Evelyne Girardon.

Chanson de la tradition orale en français d'Ardèche - Haut Vivarais

Points de vue

Croisement des points de vue pour La Pluie tombe sur nous

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L'interprète de l'oeuvre

Point de vue de l'interprète : Evelyne Girardon

« La pluie tombe sur nous » est en mode de RÉ bâti sur la quinte : un mode de RÉ authente

Le mode de RÉ se compose de 2 demi-tons et de 5 tons divisés comme suit : 1 - 1/2 - 1 - 1 - 1 - 1/2 – 1

le mode de ré

Ce mode, très répandu dans les répertoires chantés de la tradition orale, se remarque dans ses deux formes, authente ou plagal.

Dans le cas de « La pluie tombe sur nous », la sixte se présente en deux positions (SI - SIb), dessinant un phrasé ascendant par le SI et descendant par le SIb. La mobilité de la sixte ne change rien au fait que ce soit un mode de RÉ.

Dans la version chantée de Jean Philippe, Denis Sales, on remarque que le 4ème degré du mode (SOL) présente lui aussi une autre position (SOL#). Cette quarte augmentée ou quinte diminuée, peut-être interprétée comme la sensible de la corde de récitation (quinte = LA).

Solmisation

RÉ RÉ LA LA LA SOL#-SOL# DO DO DO DO SI LA (bis)

LALA LA SIB LA SOL SOL FA - SOL SOL SOL LA LA FA MI RÉ

RÉ FA MI RÉ MI FA MI – MI RÉ RÉ RÉ RÉ MI

MI MI LA FA MI RÉ LA

RÉ FA MI RÉ MI FA MI – MI RÉ RÉ RÉ RÉ MI

MI MI LA SOL FA MI RÉ

Pour Evelyne Girardon, « La pluie tombe sur nous » est un mode de « RÉ authente » ou d’un mode de « RÉ-LA » selon la nomenclature du médiéviste, chanteur, vielleur René Zosso. Bourdon nommé Ré (note de référence en hauteur relative) et corde de récitation nommée LA (quinte).

Évelyne Girardon utilise la main imaginée par René Zosso dans « Penser modal » (DVD Mustradem).

Autre exemple:

Fichier 3 : Ce Joli Mois de Mai

« Ce joli mois de mai» tiré de « Chansons Anciennes du Haut Vivarais 1 » Collecte Joannes Dufaud : cette chanson est un exemple de mode de RÉ authente avec le sixième degré (SI) qui ne change pas. 

La mélodie de cette version collectée en Ardèche, donne un exemple du mode de RÉ authente sans variation de la position de la sixte et sans mobilité de la quarte. Cette version peut être considérée comme une « cousine », une variante de celle de Monsieur Jean Philippe, Denis Sales.

- Texte d’une autre chanson qui présente des similitudes :

Fichier 4 :  Louis Lambert / chants et chansons populaires du Languedoc

Version de Coux

notée par Louis Lambert (Chants et Chansons populaires du Languedoc, édité en 1906)

relevée par le docteur Chaussinand à Coux en Ardèche

Pas de notation musicale.

Fichier 5 : Louis Lambert / chants et chansons populaires du Languedoc

Vidéo 3 d'Evelyne Girardon : Choisir l'interprétation

L’interprétation

L’interprète a fait un choix d’arrangement polyphonique

La chanson est interprétée par 5 voix.

Évelyne Girardon chante la mélodie alors qu’une autre voix fait office de bourdon en tenant de manière continue une même note. Ce choix de bourdon vocal permet de souligner et de soutenir la mélodie.  

Evelyne Girardon ralentit la mélodie du couplet pour mettre en valeur le texte et la mobilité du quatrième degré. Elle souligne aussi que son interprétation de ce quatrième degré (quarte augmentée ou quinte diminuée) insiste sur le choix de la référence au bourdon, alors que Denis Sales l’exprime en référence à la quinte, comme une « sensible » de cette corde de récitation. 

Document : La modalité grégorienne - Jacques Viret - Éditions A Cœur Joie

L’intervalle séparant la finale de la corde récitative (le mot « dominante » ne date que du 17e siècle) définit la catégorie du mode : il est d’une quinte pour les authentes (sauf pour le 3e mode où le Si a glissé au Do) ; quant à la corde récitative des plagaux, elle est située une tierce sous celle des authentes de même finale (donc à une tierce au-dessus de la tonique, sauf pour le mode de sol-do et celui de mi-la, où nous avons un espace d’une quarte). 
Le spécialiste généraliste

Point de vue du musicologue généraliste : François Picard

« La pluie tombe sur nous » - François Picard mai 2018 

Les raisons d’un choix 

Ce chant a été choisi pour plusieurs raisons :  

• Chanté à voix nue, c’est un bel exemple de modalité profane de tradition française 

• L’enregistrement de l’interprétation d’un agriculteur âgé recueilli et publié par des musiciens collecteurs associatifs est un bel exemple du cheminement de la transmission dans les cinquante dernières années. 

• Réinterprété par une chanteuse professionnelle, pédagogue de référence, choisi pour le baccalauréat, c’est devenu un classique : une œuvre à étudier en classe. La sélection dans les œuvres au programme en a assuré une large diffusion et un cocktail intéressant de discours, permettant d’explorer la compréhension d’un tel langage modal par les professeurs de musique des conservatoires. 

Les matériaux à disposition 

Le chanteur, « monsieur Sales », a été enregistré en 1976 par une collectrice, Sylvette Béraud-Williams. L’enregistrement, monté, a été édité en cassette accompagnée d’un livret publiée en 1979, puis dans un disque folk trad en 1985, ensuite dans un recueil publié avec le CNRS en 1987. 

Evelyne Girardon en a produit sa propre version en 2005 dans son album Répertoire d’après l’enregistrement publié par Sylvette Béraud-Williams, toujours à voix nue mais avec un bourdon vocal, dont une deuxième voix se dissocie.  

Outre les enregistrements, les collecteurs ou des personnes proches d’elles en ont produit des transcriptions, ainsi que des professeurs de conservatoire et des musicologues et ethnomusicologues, qui ont produit des analyses. 

À l’occasion de l’élaboration du présent Portail des musiques modales, l’interprète de référence, Evelyne Girardon, a produit sa propre analyse. 

Il en ressort de toute évidence que si l’on trouve bien un vague consensus pour y trouver un sentiment modal, il n’y a pas consensus sur la qualification de ce mode, ni sur ce qui lui donne un caractère modal. 

En ceci, ce chant (dans la double interprétation de M. Sales et de Mme Girardon) est exemplaire de la modalité profane de tradition du domaine français. 

Références  

M. Sales, chant, 77 ans, « La pluie tombe sur nous », 17 février 1976, enquête Sylvette Beraud-Williams 

Sylvette Béraud-Williams, Associacien Mont-Jòia (Universitat de Provença), dir., Chansons populaires du pays des Boutières (Ardèche), Sonògraf, 1979 avec cassette audio. 

Sylvette Beraud-Williams, Aline et Dominique Laperche, Christian Oller, livret accompagnant le 33 t / la cassette / le CD Apprends-moi ton langage chansons traditionnelle d'Ardèche, folk trad Media : LP Gatefold L'Airgadent AIG 107, 1985. 

Sylvette Béraud-Williams, Chansons populaires d'Ardèche recueillies dans le pays des Boutières, Aixen-Provence : Edisud ; [Paris] : Editions du CNRS, 1987. 

Version harmonisée par Jean Férole 

Evelyne Girardon, chant, « La pluie tombe sur nous », d’après l’enregistrement de M. Sales, arrangé avec bourdon, enchaîné avec un briolage du Berry, disque Répertoire, 2005. 

Olivier Hussenet (chant) et Cyrille Lehn (piano), documents bac, CNDP, novembre 2008. 

La version de Denis Sales 

Description 

  • chant à voix nue, sans accompagnement 
  • voix d’homme 
  • texte en français 
  • rapport texte-mélodie syllabique 
  • pas de battue exprimée 

Transcription 

La pluie tombe sur nous, pour vous quel avantage ? 

Vos vaches auront du lait, vous ferez des fromages, 

Vous en tirerez de l’argent,  

Pour marier tous vos enfants. 

En chantant  

De rantanplan  

Ce joli mois de mai  

Qui toujours nous réveille. (bis)


Une transcription, en mi mineur (un dièse à la clef) et avec mesures alternant 2 et 3 temps, est publiée dans la brochure, la voici : 

Exemple musical 1 partition "La pluie tombe sur nous"

Exemple musical 1 partition "La pluie tombe sur nous"

Afin de mesurer précisément les hauteurs chantées, on a jugé utile de comparer plusieurs interprétations de la même phrase.

Or, en les superposant, il s’avère que la première phrase « La pluie tombe sur nous pour vous quel avantage » est exactement la même dans les deux strophes.

Les détails de l’opération ayant mené de l’enregistrement à la publication ne sont pas documentés, mais il est évident que la similitude technique implique une copie lors du montage (« editing »). Poser la question a permis de remonter jusqu’à la source de l’enregistrement original, qui fait bien apparaître qu’il a subi une duplication au montage.

Enregistrement original de Jean Philippe, Denis Sales, collecté par Sylvette Bérault-Williams

Exemple musical 2 "La pluie tombe sur nous" forme (François Picard)

Exemple musical 2 "La pluie tombe sur nous" forme (François Picard)

On distingue textuellement quatre phrases :

A La pluie tombe sur nous, pour vous quel avantage ?
A Vos vaches auront du lait, vous ferez des fromages,
B Vous en tirerez de l’argent, Pour marier tous vos enfants.
C En chantant De rantanplan Ce joli mois de mai Qui toujours nous réveille.

On distingue musicalement trois phrases :

A ré la do la, avec sol# et si (bis)
B la sib la sol fa, la sol fa mi ré
C ré fa mi ré / la sol fa mi ré (mi)
A ambitus ré do
B ambitus ré sib
C ambitus ré la (mi)

B et C sont totalement compatibles avec un mode de ré

La pièce commence et se termine par , avec:

A ré la
B la ré
C ré ré

Schéma 1 "La pluie" Denis Sales, forme

Schéma 1 "La pluie" Denis Sales, forme

La forme générale de la chanson, si l’on omet la répétition de la première phrase de la strophe II en début du chant, est donc :

Schéma 2 "La pluie" Denis Sales, forme

Schéma 2 "La pluie" Denis Sales, forme

Analyse musicale : trois écoutes

Simplifions :

Pour Evelyne Girardon, la chanson est dans un mode de Ré-La avec une sixte mobile.

Pour Olivier Hussenot, on a affaire à un mode exotique, « tzigane » ou « hongrois ».

Pour François Picard, le mode est clairement un 1er mode, ou mode de , et le si est naturellement mobile (bémol ♭ ou ♮ bécarre, b mou ou b carré). Il suit en cela la leçon de la transcription initiale de 1985.

 

Exemple musical 3 "La pluie tombe sur nous" en mode de ré

 

L’adaptation (ou rectification) par François Picard supprime les accidents ; on note que les notes de début et de fin sont toutes ré la ré : on est en mode de ré.

Diagramme d'analyse mélodique 1 "La pluie tombe sur nous"

Diagramme d'analyse mélodique 1 "La pluie tombe sur nous"

Le diagramme d’analyse mélodique en est une version synthétique, obtenue ici avec DunhuangXml développé par Vincent Boucheau pour l’IReMus.

Exemple musical 4 « Mittens haec mulier »

Exemple musical 4 « Mittens haec mulier »

Les recherches dans les bases de musiques grégoriennes numérisées (globalchant.org) permettent d’identifier d’autres pièces ayant le même incipit :

Exemple musical 5 « Fortissimorum crucis Christi »

Exemple musical 5 « Fortissimorum crucis Christi »

Vers un autre entendement

L’insistance d’Evelyne Girardon, dont l’interprétation (vocale et analytique) tend de plus en plus à raccourcir l’écart mélodique entre quarte et quinte (dans la transcription sur , le sol# tendant vers le la), a mené à remettre en cause la transcription initiale, normative, qui aplatissait la particularité mélodique sur un tranquille premier ton (mode de ). L’écoute fine de l’enregistrement de M. Sales aidée par les moyens de la visualisation et de la mesure des hauteurs (protocole Beyhom – Miramon-Bonhoure sous Praat) rétablit le particularisme : en partant de la fondamentale ré, la quinte est juste (la) et la quarte est haute (sol#)

Illustration 1 M.Sales début 2ème strophe

Illustration 1 M.Sales début 2ème strophe

Si l’on prend au sérieux cette intonation, cette inflexion, on remarque qu’elle n’affecte que la phrase a, qui par ailleurs est chantée de manière non-mesurée.

Exemple musical 6 « La pluie tombe sur nous » transcription analytique, sur ré

Exemple musical 6 « La pluie tombe sur nous » transcription analytique, sur ré

Si l’on prend au sérieux la nouvelle transcription, plus exacte et qui a servi de modèle à Evelyne Girardon, on ne peut appliquer le schéma du grégorien, qui veut que les ditons, suite de deux tons majeurs caractéristique du noyau modal, soient solfiés « fa-sol-la » et que les demi-tons soient solfiés « mi-fa ».

Exemple musical 7 : Transcription de François Picard d'après la collecte de Dominique Laperche et Christian Oller  -  « Du bourdon à la mélodie », éducation musicale - by nikkojazz.

Exemple musical 7 : Transcription de François Picard d'après la collecte de Dominique Laperche et Christian Oller - « Du bourdon à la mélodie », éducation musicale - by nikkojazz.

Cet essai de solmisation est raté, il montre bien qu’on ne saurait assimiler la quarte diminuée sol#-la-si-do à une tierce majeure en la chantant. Mais quand même, les sections B et C sont tout à fait compatibles avec une solmisation grégorienne.

Si l’on prend au sérieux ce qui est dit par les collectrices et collecteurs en 1985, (référence bibliographique p. 31) :

Elle était très répandue en Haut-Vivarais, dans les Boutières, sur le Plateau ardéchois et jusqu’à Coux où une version de huit couples a été notée par Lambert.

On est conduit à examiner cette chanson à l’intérieur d’un corpus conséquent, plus ancien, recueilli par Louis Lambert :

Louis Lambert, Chants et chansons populaires du Languedoc, Paris, 2 volumes, 1906.

Ce recueil a fait l’objet d’une édition en fac simile en ligne :

https://archive.org/details/chantsetchansons01lamb

https://archive.org/details/chantsetchansons02lamb

Comme il est plus facile de reconnaître des paroles qu’une thématique, et des paroles qu’un air, on trouve tout d’abord ceci :

Dans la nuit qui précède le premier jour de mai, les jeunes garçons vont, de porte en porte, quêter du lard et des œufs, pour fêter ensemble, le dimanche suivant, l’arrivée de la belle saison. Ils font cette quête en chantant la chanson suivante, qu’ils ne disent pas en entier ; si on a été généreux à leur égard, ils chantent les cinq premiers couples ; mais dans le cas contraire, ils remplacent ce cinquième couplet par le sixième.

Louis Lambert, Chants et chansons populaires du Languedoc, Paris, vol. 2, 1906, p. 164.

1.Nous sommes venus ici vous faire ouvrir les portes ;

Le mois de Mai est arrivé il faudra que l’on sorte.

Le mois de Mai est arrivé

Nous venons vous l’annoncer

En chantant ce joli mois de Mai

Qui a de la rosée

En chantant ce joli mois de Mai

Qui va qui nous réveille.

On a bien sûr reconnu le refrain de la chanson chantée par Denis Sales.

On remarque que la chanson ici n’est pas recueillie directement par Lambert, ni assignée généralement à la vaste région du « Languedoc », mais qu’elle fait partie du fonds recueilli par « M. le docteur Chaussinand, Coux (Ardèche) ».

Ce collecteur est « Dr Chaussinand de Saint-Dizier qui, passant des vacances à Coux, recueille, sous le Second Empire, les chants du village ».

Janine Jail, http://www.patrimoine-ardeche.com/visites/coux.htm

Il était directeur de l’asile d’aliénés en 1914, quoique directeur honoraire en 1902, et vice-président de la Société des lettres, des sciences, des arts, de l'agriculture et de l'industrie de Saint-Dizier en 1924.

Exemple musical 8 « La pluie tombe sur nous » transcription analytique, sur la

Exemple musical 8 « La pluie tombe sur nous » transcription analytique, sur la

Si maintenant on transpose sur finale la, on obtient une échelle et des mouvements mélodiques que l’on retrouve ailleurs dans le même recueil.

Exemple musical 9 « Se cantas pas » Languedoc 2 p. 6

Exemple musical 9 « Se cantas pas » Languedoc 2 p. 6

Louis Lambert, Chants et chansons populaires du Languedoc, Paris, vol. 2, 1906, p. 6. https://archive.org/details/chantsetchansons02lamb

Exemple musical 10.1 « Lou riban blé »

Exemple musical 10.1 « Lou riban blé »

Exemple musical 10.2 "Lou riban blé"

Exemple musical 10.2 "Lou riban blé"

Lambert, ibid. p. 88-89 et 97.

On notera d’autres exemples de quarte augmentée (notées la mi ré#) dans le recueil de Lambert, toutes localisées du côté de l’Ardèche.

Enfin, si on oublie la piste, pourtant tentante, de l’incipit « La pluie tombe sur nous » pour nous orienter vers le contexte attesté, celui du chant de mai, on trouve un exemple qui semble résoudre la question de la forme comme celle du mode : le chant « Joli mois de mai ».

Joli mois, mois de Mai

« Joli mois de mai », recueilli en Ardèche par Joannès Dufaud (1924- ), édité par Jean-Pierre Huguet, 2000, repris dans le recueil de Rassat.

refrain

Joli mois, mois de Mai,

Quand reviendras-tu ?

Joli mois, mois de mai,

Il est revenu !

Et vous, fillette, qui dormez dans la plus haute chambre,

Ecoutez votre amant à la porte qui chante,

En chantant ce joli mois de Mai

Qui toujours nous réveille.

2.

Metètz la man au nis daus uòus,

De chasque man adusètz ne'n nòu !

Metètz la man au chaseiron,

De chasque man un picaudon !

3.

Mès si volètz rien donar,

A vòstra pòrta anem chiar !

Mès si volètz rien donar,

Aurem los dèts per nos lichar !

Joannès Dufaud, 300 chansons populaires d'Ardèche, St-Julien-Molin-Molette, Jean-Pierre Huguet, 2000

Origine : Ardèche (Saint-Martial)

Année de l'arrangement : 2004

site Chants populaires français

Exemple musical 11 « Joli mois de Mai » forme (Picard) sur ré

Exemple musical 11 « Joli mois de Mai » forme (Picard) sur ré

En écrivant « Joli mois de Mai » sur ré, la forme apparaît comme évidente, et comme une variante de la chanson de Denis Salles.

On peut ainsi aboutir à une hypothèse qui est à la fois génétique et fonctionnelle : elle explique comment fonctionne la chanson de M. Sales, et elle explique le système des chansons en Ardèche (et sans doute bien au-delà).

Ce système, c’est le système formulaire.

Une modalité formulaire

Le système formulaire est celui de la centonisation bien connue des folkloristes attachés au texte.

Par « formulaire », on désigne aussi une des deux appréhensions observées de la modalité y compris dans des systèmes modaux aussi établis que le maqâm irakien ou le chant grégorien : on observe ainsi que deux interprètes experts reconnus peuvent dire ressentir et expliquer un même mode l’un par un ensemble de formules caractéristiques, de tournures, mémorisées et classées, l’autre par une échelle pourvue de sa hiérarchie ; on appelle en théorie générale de la modalité la première appréhension « le mode formulaire » et la seconde « le mode scalaire ». On observe que rares sont les musiciens et musicologues à être capables de passer de l’un à l’autre, ce qui n’est pas très grave, puisque l’on observe que cela n’empêche nullement les musiciens de jouer ensemble. Plus grave, rares sont les musiciens, pédagogues et musicologues à accepter d’envisager que sa vision n’est pas la seule, ou du moins pas la seule vraie.

En conclusion, la modalité de M. Sales dans « La pluie tombe sur nous » s’accommode mal d’une explication par la modalité scalaire (« c’est un mode de ré » « la quarte est attirée par la dominante comme une sensible par la tonique ») mais s’explique de manière lumineuse par un fonctionnement formulaire, fait d’emprunts qui ne se font pas au hasard, mais guidés par cet étrange sentiment que ces bribes apparaissent comme appartenant à un même ensemble, et non à d’autres ensembles mélodiques du même répertoire, que ces bribes sont des briques que l’on peut assembler en A A B C C’ (« La pluie tombe sur nous »), mais aussi en C C A A B (« Joli mois de mai »). Ces briques sont caractérisées par des phrases allant de à la et de la à ré, avec la tierce ré-mi-fa et des notes mobiles si et sol.

François Picard, en ce joli mois de mai de 1968+50

***

Pour François Picard, le chant « La pluie tombe sur nous » présente des traits caractéristiques d’autres chants du Sud de la France, notamment de l’Ardèche.

Vidéo 9 : François Picard

Le musicien d'une autre tradition

L'interprète musicologue venant d’une autre tradition : Erik marchand

Pour Erik Marchand, « La pluie tombe sur nous » appartient à l’univers de la modalité occidentale pour plusieurs raisons : la mobilité de certains degrés, dans le cas présent, le quatrième degré (la quarte) et le sixième degré (la sixte).

Erik Marchand a écouté la chanson de Jean-Philippe Denis Sales avec son oreille de chanteur breton et il l'a analysée avec ses méthodes habituelles.

Il a découvert des similarités avec des chants de son répertoire.

Structure de la pièce

Echelles

5 1 2 3° 4° 5 6° et 6+ 7°

Une description détaillée du système de notation d'Erik Marchand est présentée en annexe.

Ce type d’échelles est assez courant en musique bretonne : Les 4ème degrés, hauts sans être augmenté s’entendent dans beaucoup de thèmes utilisant des tierces majeures mais aussi des tierces médianes. Selon les thèmes et les interprètes ces quartes peuvent être légèrement « colorées » (quarte juste + 20 cents à peu près) ou plus franchement médiane (quarte juste + 40 ou 50 cents)

 

Trois parties se distinguent A B C

La phrase A s’étend de la tonique à la 7ème avec un repos sur la quinte, la phrase B la complète dans un mouvement 5 6° 5 4 3° 2 1

La phrase C que l’on pourrait qualifier de refrain peut paraître avoir une couleur légèrement différente, tournant autour d’un motif 13° 2 et appelant, une seule fois la quinte inférieure.

Dans les phrases A et B on entend une intéressante modulation sur le sixième degré.

Dans une écriture simplifiée il est possible de réduire cette modulation à sixte majeure, sixte médiane mais en fait, il me semble que nous entendons deux sixtes médianes l’une proche de 6 majeure moins une vingtaine de cents et l’autre 6 mineure plus à peu près 40 cents

Phrase A : mouvement descendant 7° 6+ 5,

Phrase B : mouvement ascendant 5  6°


Les phrases mélodiques A et B de Jean-Philippe Denis Sales rappellent beaucoup la phrase A de Madame Bertrand dans la gwerz « Nozvezh kentañ ma eured » avec cette même modulation du 6ème degré dans un ordre inversé : sixte médiane dans sa première apparition (mouvement ascendant ? 5 6° 5 4°) et proche du majeur dans sa seconde apparition (mouvement descendant ? 7° 6+ 5).

Gwerz "Nozvezh kentañ ma eured" par Madame Bertrand

Dans son interprétation Evelyne Girardon a pris le parti de choisir une échelle plus tempérée en utilisant une quarte augmentée et une modulation claire de la sixte entre majeur et mineure. Ce choix artistique plaisant et cohérent ne remets pas en cause le caractère modal de la pièce et de sa structure de base mais l’entraîne vers une nouvelle couleur.

Le fonctionnement de la chanson de Jean-Philippe Denis Sales est bien proche, modalement, de celui de nombreuses mélodies interprétées en Bretagne. L’échelle, notamment la présence de la quarte haute, la modulation de la sixte et d’autres nous font penser que ces thèmes appartiennent à une même famille musicale.

Présentation de l'analyse d'Erik Marchand

Ecrit le 01/09/2019 par Evelyne Girardon / François Picard / Erik Marchand

Evelyne Girardon

chanteuse, musicienne et comédienne

François Picard

ethnomusicologue

Erik Marchand

Chanteur