Pays Fañch

Le pays Fañch
Billet d’humeur soulignant la personnalité que les individus donnent à la description de leur identité ou du peu d'intérêt qu’ils y portent malgré ce qu’on peut croire

par Erik Marchand

 

La notion de pays peut être très prégnante en Bretagne comme elle peut être sous-jacente.

Certains pays sont clairement nommés, d’autres n’ont pas de nom. Mais ceux qui y appartiennent se ressentent comme ayant des proximités avec les membres de la communauté dont on pourrait dire qu’ils ont choisi la géographie.

Les habitants de Poullaouen, par exemple, ne nomment pas le pays auquel ils appartiennent mais le définissent, ou plutôt le définissaient. Car aujourd'hui, évidemment, les notions de terroirs sont moins marquées, et les divisions politiques sont utilisées par les élus pour justifier ou définir l'étendue de leur royaume. Ainsi le Poher, qui fût une division politique sans que personne ne se revendique de pohered, est aujourd'hui une identité portée par les politiques et acceptée par les non natifs ou les acculturés locaux.

Parfois ou souvent, les pays ont un nom, et les habitants se présentent avec une certaine fierté comme pourlet, fisel ou fañch. 

Les critères de reconnaissance étaient aussi visibles que ressentis, par le fait qu’ils pouvaient être liés à des habitudes de fréquentation d’un même marché, par exemple. Mais cette appartenance procédait surtout de critères plus clairement définissables tels que le partage d’un même dialecte, ou des variantes d’un même dialecte, devenant compréhensible sans difficultés particulières, ou encore le partage d’une même danse ou d’une même mode vestimentaire (pour les femmes en particulier).

Pour le costume il nous faut préciser que certaines modes (giz), et certaines coiffes surtout, venaient “à la mode”. Ainsi les femmes des hauts du pays Fañch ont préféré assez rapidement la coiffe trégorroise (par exemple les femmes de l’est de Poullaouen).

La danse, dans la micro-région du Centre-Bretagne, constituait un marqueur identitaire suffisamment fort pour que les aficionados du folklore la considère, sous le regard bienveillant des locaux, comme l’une des bannières du “pays”.

Il est intéressant de noter un glissement sémantique de la fin du XXème siècle.

Le pays Fañch (divisé en diesoù et kroec’hoù, c'est-à-dire les "bas" et les "hauts" en breton) pratique une danse à quatre temps, face aux voisines à huit temps (dañs fisel, gavottes) dont le pas est souvent proche du sol et qualifiée de plinn (plate ou plean (de "plaine"), c'est-à-dire ordinaire, simple). Les habitants des diesoù, des bas, se donnaient ou se laissaient donner le nom de Fañch (qui ne possède pas de traduction particulière, sinon en référence au prénom François). Leur danse était donc nommée dañs tro ("danse en rond") comme dans les pays voisins, avec parfois la précision dañs tro fañch, ou qualifiée de dañs plon (jeux de mot entre Plonen, Plounevez Quintin et plon : "lourde", à l'image du plomb) et plus couramment de plinn. Les habitants de krouec’hou qui ne se reconnaissaient pas comme fañchoù utilisaient sans doute majoritairement ces adjectifs pour qualifier ou définir leur danse.

Dans le dernier quart du XXème siècle, des néo-ruraux, rapidement suivis par les locaux, ont nommé le pays du nom de sa danse et les diesoù (fañch) et les kroec’hoù ont été rassemblés sous le nom de pays Plin (le plat pays!).

Dans cette petite région et dans les pays d'à côté se pratiquait et se pratique une forme de polka appelée polka ordinaire (plean) en opposition à la polka piquée ou chaloupée. Au début du XXIème siècle, l’appellation s’est simplifiée en Polka Plin. Cela pouvait sembler logique car elle était emblématique de ce pays (mais aussi des pays voisins, notamment du pays Fisel). Il est passionnant de voir que nombre de danseurs du nouveau fest-noz ont adapté le pas à quatre temps de la dañs tro plin à cette danse en couple, créant ainsi des moments intéressants où des danseurs et danseuses forment une ronde ou une chaîne presque fermée, et au milieu de celle-ci évoluent des couples dansant en tournant sur eux-mêmes avec le même pas que la danse en chaîne.

Ce phénomène moderne du passage de danse en chaîne à danse en couple que l’on retrouve en Europe Orientale est très intéressant et montre ici qu’un glissement sémantique devient créateur d’une nouvelle tradition. La danse et la musique populaire ont encore un bel avenir devant elles !